Jack O'Connell

Quinsigamond



Si vous cherchez Quinsigamond sur un atlas, vous ne la trouverez pas. Sur un site de guidage cartographique, on vous renverra à des lacs ou certains quartiers aux alentours de Worcester, à cinquante kilomètres à l'est de Boston.

Autant dire que Quinsigamond est une création de Jack O'Connell, archétype de la ville industrielle de la côte Est, à moitié détruite et ultra-violente. Pénétrez-y aux risques et périls de votre santé mentale...

couverture livre

Géographiquement et sociologiquement, Quinsigamond est une ville en ruines de l'ère post-industrielle. Ses usines sont désaffectées, sa gare en ruines, la pègre contrôle plusieurs de ses quartiers... Mais ses habitants sont vivants, même si on peut les croire personnages d'un cauchemar. Certains coins autour du canal ressemblent au Village de New York, pleins d'artistes et de troupes de théâtre. Les gangsters ne sont pas que "méchants" : leur caractère est fouillé, torturé...

Ainsi, le maire Victor Welby est un démagogue aux activités troubles. Cortez, caïd du trafic de drogue, des putes, et pourtant obéissant à plus fort que lui, est un lecteur vorace de romans jamais publiés en Amérique du Nord. Hermann Kinsky, roi du crime, n'a fait que déplacer son empire depuis l'Europe de l'Est.

Et ces personnages vivent dans des lieux fantastiques, gothiques : l'hôtel Penumbra, chef d'oeuvre art-déco, ou l'hôtel Saint Vitus, ancien couvent d'une secte de religieuses, façon château de Dracula.

« A minuit, l'hôtel Penumbra ressemble à une forteresse maudite, authentiquement hantée, qu'on aurait arrachée à la terre détrempée, grouillante de vers, d'un village de montagne d'Europe de l'Est pour la transplanter, intacte, dans le terreau vénéneux de Bangkok Park. »

Bangkok Park

« Il y a encore, à Quinsigamond, dans des maisons de retraite ombreuses et oubliées, quelques personnes qui pourraient vous parler de l'époque où c'était un quartier d'immigrés prolétaires mais honnêtes, un endroit où on pouvait se promener dans les rues, de jour comme de nuit, et où les enfants grandissaient en nombre impressionnant. Dans les années d'après-guerre, le Parc s'est transformé en ghetto classique et, peu à peu, la drogue, le jeu, les armes et toutes les perversions lucratives ont imposé leur loi. Mais c'est seulement depuis l'arrivée en ville de Cortez, une quinzaine d'années plus tôt que le Parc est devenu une zone de guerre officielle où aucune atrocité n'est à exclure. »

Le quartier de Bangkok Park regroupe toutes les perversions de la ville. C'est un no-man's-land d'où l'on n'est jamais sûr de revenir --- où la police et les journaux ne vont plus.

« C'est une partie de la ville qui n'est plus vraiment un lieu réel mais plutôt un mythe ténébreux, une cour des miracles délimitée uniquement par les rumeurs effrayées et les plaisanteries de mauvais goût. »

Zone du Canal

« Le fait est que la Zone du Canal peut aussi se révêler très distrayante. Elle n'est jamais stagnante. Les gens sont tout le temps dehors, en pleine nuit, en plein hiver, rassemblés par petits groupes, la tête enveloppée dans la fumée de leurs cigarettes d'importation, les yeux rougis par le manque de sommeil. Généralement, Sylvia s'arrange pour faire abstraction du côté branché, du snobisme rétro. Elle essaie d'expliquer à Perry qu'elle trouve son bonheur dans la Zone. Des douzaines de restaurants ethniques, aussi minuscules que bizarroïdes, ouvrent et ferment tous les mois. A chaque coin de rue, on rencontre un vieux bibliophile réactionnaire qui vitupère contre les chaînes de grands magasins et qui propose, pour vingt-cinq cents, un Verlaine en édition de poche sans couverture, ou, moyennant un dollar, le volume J de la onzième édition de l'Encyclopaedia Britannica. Tous les deux jours ont lieu des défilés extravagants dont il ne faut même pas chercher à deviner le thème. Les prospectus affichés sur les poteaux télégraphiques et les panneaux de signalisation sont des tracts ésotériques, des versions abrégées de la Kabbale, même quand ce sont simplement des publicités pour un nouvel orchestre, pour une spécialité du restaurant afghan, ou un banal appel au boycott. C'est une sorte de marché aux puces amusant et permanent, dit-elle à Perry. Un rempart contre l'ennui. »

« --- La première industrie de la ville était une usine de papeterie. Au début des années 1800.
Elle n'en revient pas de se voir dispenser un cours d'histoire en ce lieu. Elle est en chemise de nuit d'héroïne romantique, en train de se promener avec un personnage mythique sur une voie ferrée souterraine, et il veut lui faire une conférence sur la révolution industrielle ! »

Que l'héroïne soit flic (Lenore, B.P.9) ou photographe (Sylvia, Porno Palace), elles vivent une aventure fantastique : une drogue nouvelle développe les facultés du langage; un photographe exceptionnel et secret erre dans les souterrains de la ville... Et des lieux magiques, fantastiques, hallucinés...

Imaginez une ville décor de film noir... Une ville qu'on ne peut se figurer que la nuit ou sous un ciel si gris que la nuit paraîtrait claire. Une friche industrielle, où vivraient tous les acteurs de tous les films noirs depuis M le Maudit. Mais le clap de fin ne se produit jamais, et tous sont obligés de vivre leur film à perpétuité.

« Dans cette caverne de brique et de pierre, cette espèce de cratère, cette grotte humide au sol couvert de boue, de cendres et de poussière, il y a, parfaitement reconnaissable, un classique dinner de la Quinsigamond Lunchcar Company, un de ces petits restaurants exigus qui ressemblent à des wagons immobiles. Celui-ci n'a pas de fenêtres, le toit voûté manque par endroits et les murs sont craquelés, mais il trône là comme une pièce de musée pétrifiée. Au-dessous de la rue. »

Bibliographie

  • B.P.9 (1992) : Rivages/Noir numéro 209.
  • Ondes de choc (1993) : Rivages/Noir numéro 558.
  • Porno Palace (1996) : Rivages/Noir numéro 376.
  • Et le verbe s'est fait chair (1999) : Rivages/Noir numéro 454.

Errez dans Quinsigamond. On s'y retrouvera, fantômes en noir et blanc.

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